Retrouvailles [Seirian + Naru]

-Mae hen wlad fy nhadau yn annwyl i mi, Gwlad beirdd a chantorion, enwogion o fri; Ei gwrol ryfelwyr, gwladgarwyr tra mad, Tros ryddid collasant eu gwaed, fredonnait Seirian en marchant doucement dans les sentiers de terre battue du parc.

Elle aimait cette douce mélodie que chantaient les hommes de son village.

-Gwlad! Gwlad! pleidiol wyf i'm gwlad Tra môr yn fur i'r bur hoff bau, O bydded i'r hen iaith barhau, continua-t-elle en s'asseyant sous un hêtre.

Elle se tut pour mieux admirer le paysage autour d'elle. Le large couvert de l'arbre la préservait du soleil écrasant de midi, et la fraîcheur d'un petit ruisseau tout proche rendait l'atmosphère encore plus agréable.

Seirian souleva son épaisse chevelure et la noua avec un ruban rouge, afin de dégager son champ de vision.
Enfin, elle ouvrit sa besace et en sortit un livre.

-Parfait, murmura-t-elle.

Le livre s'ouvrit de lui-même à la page 237, là où elle avait glissé une feuille de bouleau séchée.

L'héroïne - une jeune aristocrate blonde comme les blés et idiote comme un épi de maïs - comprenait enfin que l'homme en habit noir qui la poursuivait depuis quatre chapitres n'était pas l'assassin de ses parents mais bien son frère (ce qui était assez facile à deviner, du point de vue de Seirian, puisque lui aussi était idiot comme les blés et blond comme un épi de maïs).
La prof d'Histoire ne put s'empêcher de ricaner à l'idiotie de cette gourde.

Elle sursauta en sentant quelque chose de doux caresser sa cheville. Elle pensa à la cape du frère de la gourde, puis se rendit compte qu'il ne s'agissait que d'un chat sauvage.

-Dégage! grogna Seirian en lui filant un coup de pied et en le fusillant de son regard bleu.

Elle avait beau trouver ce roman ridicule, elle ne supportait pas qu'on interrompe sa lecture.
Soixante pages plus loin, la gourde et son frère l'ahuri découvrirent avec ébahissement que le tueur de leurs parents n'était autre que le voisin, exaspéré par leur manie de toujours jeter les restes du dîner dans son jardin. Seirian ressentit un élan d'affection pour le voisin meurtrier, après tout, elle avait aussi manqué de tuer certains des habitants de son village qui avaient une vision très personnelle du respect à l'égard des jardins d'autrui.

Quatre-vingt-quatre pages plus tard, la gourde épousait le voisin au hachoir et Seirian se sentait un peu perdue. Ne s'était-elle pas promise au prince de Fikfirga?
La réponse lui vint à la fin du chapitre, le voisin au hachoir était le prince de Fikfirga, en exil depuis dix ans. Et ce chapitre étant le dernier, Seirian put refermer son bouquin avec la satisfaction de n'avoir rien appris sur la psychologie humaine, outre le fait que les blonds sont des idiots congénitaux.

Elle leva les yeux vers la cime du hêtre pour s'apercevoir que le ciel se dorait à la lueur du soleil couchant. C'était déjà le crépuscule, et elle avait réussi à sécher cinq heures de cours.
Seirian rit doucement, elle venait de battre un petit record, et personne n'était venu la chercher par la peau du dos pour l'envoyer donner cours à des magiciens pré-pubères à l'orthographe incertaine et à l'intelligence défaillante.

-La vie est magnifique, soupira-t-elle en croisant les bras derrière sa tête, observant avec bienveillance la petite coccinelle qui escaladait avec enthousiasme son corsage rouge sang.

Naru bailla et corrigea la position d'un de ses élèves avant qu'il n'éborgne son voisin avec sa flèche.
Elle adorait le tire à l'arc... mais elle n'aimait pas du tout l'apprendre aux autres. Et encore moins à des élèves qui n'avait jamais touché une arme de leur vie.
C'était le dernier cours de la journée et elle avait hâte que ça se termine. Et les élèves pensaient, d'ailleurs, la même chose.

- Met plus ton bras comme ça si tu ne veux pas que ta flèche se retrouve dans un arbre.

Elle posa ses mains sur le bras de l'élève pour le descendre un peu.

- Mada... Euh... Mademoiselle Mizugashi... dit-il d'une voix tremblante. J'ai mal au bras et je dois aller au petit coin.

Naru leva les yeux au ciel et répondit :

- Le cours touche bientôt à sa fin. Retiens toi, lors d'un combat, tu ne pourras pas sortir des rangs comme ça pour aller faire ton petit pipi ! Et ne lâche pas ta cible des yeux.

Le garçon hocha la tête mais lâcha précipitamment ses doigts du fil qu'il tendait.
La flèche loupa sa cible et alla se perdre dans le parc.

- Ne soit pas crisper comme ça et ne lâche pas ta cible des yeux.

La cloche qui annonçait la fin du cours sonna et le garçon ne demanda pas son reste et partit rejoindre ses amis pour ranger son arc dans la remise.
Naru grimaça. Il aurait pu au moins aller rechercher sa flèche.

Elle regarda les élèves s'en aller, heureux que la journée se termine enfin et commença à ranger le matériel.
Il ne reste plus que la flèche manquante.
D'un pas lent, elle se dirigea vers la foret...

Seirian sentait ses paupières devenir lourdes. Elle détacha le ruban de ses cheveux, afin d'être plus à l'aise, et une odeur de fleurs s'échappa de sa chevelure, comme si elle revivait après avoir été si longtemps emprisonnée.

La jeune femme s'écarta de l'arbre pour aller se coucher dans l'herbe tendre et moelleuse de mousse, tout près du ruisseau.
Le soleil déclinant peignait sa peau de la couleur de l'or et donnait des reflets de bronze à ses cheveux.
Seirian se laissa tomber dans la mousse, les bras et les jambes écartés. Elle fixait le ciel orangé à travers les branchages immenses, puis ses paupières s'abaissèrent comme un rideau sur ses yeux de gemme.

Son long corps s'enfonça dans un sommeil délicieux, peuplé de rires d'enfants, de soleil sur les champs, d'oiseaux frôlant les nuages et de rivières argentées. Son village, son doux village, qui lui manquait alors qu'elle l'avait tant haï dans sa jeunesse.

-Ne pars pas... chuchota-t-elle.

Mais la petite fille ne l'entendait pas, elle s'éloignait et ses cheveux pâles voletaient dans le vent du soir, comme une fumée ou un filet de brume. Elle disparaissait dans le néant et la bile lui montait à la gorge, abandonnée, elle était abandonnée. Le silence refermait ses bras noirs sur elle.

Ne pars pas.

Naru fouilla chaque buisson afin de retrouver la flèche perdue.
A quatre pattes, elle regardait chaque recoin des arbres et des plantes.
Elle ne devait pas être bien loin ! Il n'avait pas tirer fort...

Elle la trouva enfin, l'attrapa et se releva.
Elle remarqua alors une jeune femme endormi contre un arbre de l'autre coté du buisson.

*C'est qui celle là ?* pensa-t-elle en fronçant les sourcils.

Elle la reconnu alors... c'était une de ses collègues dont elle ne connaissait pas le nom, ni même le cours qu'elle enseignait... Qu'est-ce qu'elle faisait là, à dormir ? Etrange...
Elle haussa les épaules... tout ceci ne la regardait pas, après tout... en plus, elle devait terminé de ranger le matériel !

Elle décida donc de faire demi-tour mais elle s'arrêta dans son geste.
Elle regarda de nouveau la femme endormie. Elle avait un impression bizarre...
Lentement, elle se dirigea vers elle afin de la regarder de plus près.
Arrivée à sa hauteur, elle s'accroupi et la fixa longuement... jusqu'à ce qu'elle perde l'équilibre et lui tombe dessus !

Spoiler:

Seirian fut réveillée en sursaut par un poids sur son torse.

-YAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!!! hurla-t-elle en repoussant violemment ce qui lui était tombé dessus et en se reculant.

C'était un cri de peur plus qu'un cri de guerre. Un cri d'enfant sauvage.

Elle reprit son souffle avec difficulté, son regard fixé sur la jeune femme qui se tenait face à elle.

-Oh. Merde. Désolée... s'excusa Seirian en reconnaissant une de ses collègues.

Elle se frotta le front avec gêne, et, toujours assise dans l'herbe, le jupon de sa robe relevé jusqu'à la moitié de ses cuisses, elle tendit la main vers le maître d'armes.

Elle sourit timidement et s'apprêta à se présenter, lorsqu'elle vit quelque chose qui lui fit perdre la voix.

Ces cheveux pâles, ces yeux rouges...

-N-naru? Naru Mizugashi? chuchota-t-elle.

Sa main tendue se mit à trembler légèrement. Naru était là, face à elle...

Spoiler:

Quelle ne fut pas la surprise de Naru quand la femme poussa un hurlement strident en la repoussant violemment.
Son visage vira rouge brique et ses joues gonfla d'indignation.

Elle voulu l'insulté de tout les mots qu'elle connaissait - bien que c'était elle la fautive dans l'histoire mais bon... ça elle ne l'admettrait jamais ! - mais la prof parla première.

- Oh. Merde. Désolée...

Naru se leva et contempla la femme de toute sa hauteur. Celle-ci tendait la main comme pour invité la maîtresse d'arme à l'aider à se relever. Naru préféra regarder ses ongles, détournant les yeux de cette scène déplorable.
C'est alors que sa collègue changea de comportement, son visage devint pâle et sa main se mit à tremblé.
Doucement, elle murmura :

- N-naru? Naru Mizugashi?

Naru haussa les sourcils et ouvrit la bouche pour la première fois.

- Oui... et ? (dans le sens "Oui, c'est moi ? Qu'est-ce que tu me veux ?")

Elle posa ses mains sur sa taille et continua à fixer la femme.
Son impression bizarre de tout à l'heure, c'était envolé.
Non... aucune chance qu'elle ait déjà rencontré une potiche pareille... elle s'en serait souvenue... quoique...

Seirian n'en revenait pas. Elle côtoyait cette femme depuis des jours, elles travaillaient au même endroit, et elle ne l'avait pas reconnue!

- Oui... et ?

Voyant qu'elle n'avait pas la moindre intention de lui serrer la main, Seirian renonça et se leva simplement. Elle brossa son jupon pour en chasser les brins d'herbe et les insectes, tout en marmonnant:

-Je m'appelle Seirian Rihannon. Je suis la prof d'Histoire, je ne crois pas qu'on se soit déjà croisées...

Seirian se tut, se retenant de préciser qu'elles s'étaient déjà croisées dix-neuf ans plus tôt, dans son village natal. Elle observait Naru sans aucune discrétion, de ses yeux froids et fixateurs.
Elle reconnut le fin lacet de cuir noué à son cou.
Il avait une couleur très particulière, que seuls les tanneurs de son village savaient produire.
Un sourire fin étira ses lèvres et ses doigts touchèrent inconsciemment le "N" tatoué sur sa clavicule, sous la toile blanche de son corsage.

La femme se leva et dit :

- Je m'appelle Seirian Rihannon. Je suis la prof d'Histoire, je ne crois pas qu'on se soit déjà croisées...

Naru ouvrit la bouche mais resta silencieuse, ne sachant pas quoi dire.
Ne voulant pas montrer ses sentiments, elle détourna la tête, le rouge aux joues et dit :

- Euh... peut-être bien...

Puis elle changea de conversation. Si elle croyait qu'elle allait lui sauter dans les bras, elle pouvait toujours courir...

- Mais... qu'est-ce que vous faites là, à dormir ?

-Je dors ici quand je n'ai pas envie de donner cours. Quand j'ai envie d'être au calme et de lire un peu, dit-elle en haussant une épaule.

Le regard rouge de Naru l'incommodait un peu. Très légèrement. Elle eut envie d'être quelqu'un d'autre, quelqu'un qui oserait la prendre par le bras et lui dire "hey, c'est moi, la fille à Caerdydd, tu te rappelles de moi?". Mais elle n'était ni courageuse, ni franche.
Elle était elle, juste Seirian, la fille qui tombe amoureuse des autres filles et qui se tait.
Un soupir s'échappa de ses lèvres.
A quoi elle s'attendait? Dix-neuf ans avaient passé.
Dix-neuf ans et pourtant son idiot de coeur continuait de sauter dans sa cage thoracique comme un lutin frappé de folie. Ou quelque chose approchant. Dix-neuf ans et pourtant ses yeux rouges étaient les mêmes qu'à l'époque. Dix-neuf ans et pourtant ce lacet autour de son cou prouvait que, peut-être, elle ne l'avait pas oubliée...

-Je dors ici quand je n'ai pas envie de donner cours. Quand j'ai envie d'être au calme et de lire un peu.

Naru reprit contenance et se redressa de toute sa hauteur.

- Eh bien sachez, Mademoiselle Seirian que s'est dangereux de dormir dans un tel endroit !

Elle montra la flèche qu'elle avait en main.

- Vous avez failli vous la prendre dans la tête !

Ce n'était effectivement pas une bonne idée de dormir juste en face du terrain de tir à l'arc... même s'il y avait des arbres... et surtout si ce sont des jeunes débutants qui pratiquaient !
Naru se gratta le dessus du crâne de sa flèche et dit :

- Bon ! Je suis désolée de vous avoir réveillé mais je dois retourner préparer mon cours de demain !

Et sur ces mots, elle commença à faire demi-tour...

Seirian fronça légèrement les sourcils en voyant la jeune femme tourner les talons.

-Hey! Vous pouvez pas partir comme ça, j'ai... euh... failli mourir, après tout.

Seirian se donna mentalement une grande claque dans le front. Mais quelle idiote!

-Vous me raccompagnez à l'académie? J'ai fini de lire, fini de dormir, et je n'ai plus aucun cours à donner aujourd'hui.

Elle eut une pensée coupable pour ces pauvres gosses qui avaient dû l'attendre des heures... ou pas. Seirian n'aimait pas la sensation de la culpabilité. Trop ennuyeux.
Elle balaya ces doutes existentiels d'un mouvement de la main, et adressa un grand sourire à Naru.

-C'est la première fois que je vais avoir une discussion digne de ce nom avec un professeur. Autre que Nathaniel, je veux dire.

- Et pourquoi je ne pourrais pas partir comme ça ? Ce n'est pas de ma faute si vous avez l'idée débile de vous endormir derrière un champ de tir ! Enfin... si ça peut vous faire plaisir de m'accompagner... mais ne me parler pas de ce *#@°0%¨* de magicien. Ca me donne de l'urticaire.

Seirian haussa un sourcil, intriguée.

-Vous n'aimez pas Nathaniel? demanda-t-elle avec un sourire fin. C'est un homme très intéressant. Il m'a beaucoup appris...

Son sourire s'accentua en voyant la réaction de la jeune femme. Que c'était amusant de la taquiner!

- Cet homme est louche et vaniteux ! Je ne l'aime pas ! Et je n'ai pas du tout aimé sa façon d'essayer de m'obliger à faire des tours de passe-passe complètement étrange et débile ! dit Naru avec emportement.

Seirian ne répondit rien, pensive, et la regarda ramasser des flèches pour les mettre dans son carquois.

*C'est un défaut, ça, la vanité?* songea-t-elle avec un certain étonnement. Elle haussa une épaule, bah, ça dépendait sûrement des points de vue.

Elles approchaient de l'école.

-Vous viendriez prendre le thé dans mon bureau? Vous pourriez, par la même occasion, m'expliquer ce que sont ces tours de passe-passe...